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⚫ La face cachée de la censure
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Une part non négligeable de nos difficultés, à nous autres humains, naît probablement du fait que nous disposons en général de l'usage de la parole, et du langage, ce qui nous permet de communiquer, d'échanger des informations, et dès lors, de nous organiser. Pas d'éviter les quiproquos, les malentendus, les bruits et les rumeurs, qui perturbent inévitablement nos messages, et les déforment si souvent. Nos désirs, motifs et autres voeux rencontrent d'abord un filtre interne, du registre de l'inconscient, puis la résistance éventuelle de l'interlocuteur, de l'autre, du groupe social en général.
Nous ne sommes libres que sous condition, ne dire et ne faire que ce qui est supportable, tolérable, admissible, voire bienséant.
De toute part, censure à l'horizon.
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Le plus simple, c'est la vox populi, le sentiment consensuel. Mais la foule balbutie, elle sourit à qui lui semble souriant, et parfois aux beaux parleurs qui soufflent la tempête, l'ostracisme, l'opprobre, et nourrissent l'intolérance. Confronter les idées, les théories, les opinions, les sentiments, les valeurs, les discours à la réalité, serait pourtant une belle leçon de sagesse, et de démocratie.
Mais ce n'est pas si simple, loin de là.
"Infans" est celui ou celle qui ne dispose pas encore de la parole, ni de la raison, et donc du jugement. C'est le cas des enfants en bas âge, qui dépendent en principe des adultes, et de leurs parents.
Et certes, ces parents et adultes ont le droit, et même le devoir d'interdire les gestes dangereux, d'enseigner le langage, le sens et la portée des paroles échangées, et d'aider l'enfant à former son propre jugement. Et à s'exprimer.
La liberté d'expression, le droit à la parole, c'est à la fois un principe, et le résultat d'une élaboration individuelle et personnelle. Qui commence avec l'âge de raison, et quand le sens de l'interdit est intégré. Intériorisé.
Sur le sens de l'interdit se greffent des conventions sociales, et des préjugés favorables ou péjoratifs, et des comportements plus ou moins mimétiques, issus de l'opinion dominante de l'adulte.
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L'espace de l'interdit provient d'un échange virtuel, d'un lien inscrit dans le langage, qui fonctionne comme une interface interindividuelle : "Tu ne tueras point"... Cette injonction a quelque contrepartie : "Je ne te tuerai pas, tu as ma parole, et n'en doute pas." La vie humaine, et toute vie humaine, doit être respectée, elle est intangible.
Si bien que l'interdit procure, à l'enfant, mais aussi à l'adulte, un sentiment nécessaire de sécurité.
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Puéril, enfantin, - l'enfant est celui ou celle qui n'a pas atteint l'adolescence, ou la puberté, nous y voilà. Le terme "infantile" permet ainsi de distinguer ceux qui ont la parole, les adultes, et ceux qui ne l'ont pas, et sont donc réduits au silence.
Zone d'ombre entre l'enfant et l'adulte, de l'infantile au mature, passage initiatique par la puberté, qui autorisera l'accès balisé à la sexualité responsable.
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La censure veille au grain, comme toujours ou presque.
A juste titre, elle permet d'intégrer qu'il y a des interdits fondamentaux, dont celui de l'inceste, du parricide et de l'infanticide, entre autres. Elle est nécessaire à la construction psychique, et probablement à l'acquisition du langage. Elle introduit une mesure dans la relation aux autres, le respect de l'autre, sans doute.
L'enfant n'est pas l'adulte, il le devient avec l'âge, si tout va bien...
La loi française a fixé la majorité sexuelle à quinze ans, mais punit également les relations sexuelles jusqu'à l'âge de 18 ans dans le cas de relations entre un mineur et un ascendant ou toute personne ayant autorité par nature ou par sa fonction.
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Les textes de loi définissent des limites à la liberté d'opinion, ce que nul n'est censé ignorer. En bref, sont illicites les contenus liés à l'apologie des crimes contre l'humanité, de l'incitation à la haine raciale ainsi que de la pornographie enfantine, de l'incitation à la violence ainsi que des atteintes à la dignité humaine, entre autres.
Réciproquement, ou inversement, la censure infantilise le citoyen, puisqu'elle lui dénie le droit d'exercer et d'exprimer son propre jugement, prenant ainsi le rôle d'un adulte mythique, imaginaire et tout-puissant... Une sorte de divinité, en somme.
Les femmes et les enfants, d'abord ! Rappelons qu'à l'échelle des siècles, le droit de vote pour les femmes est une option fort récente ; bien des cultures considèrent encore qu'elles n'ont pas leur mot à dire dans les affaires sérieuses.
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La censure est le fait d'un tribunal, d'ordre public ou privé, - le censeur était, à l'origine, un citoyen romain et honoré, détenteur d'une fonction et d'une dignité publiques. Censé défendre l'ordre républicain, et la morale publique, il avait précisément voix au chapitre pour contester les décisions injustes !
Le temps de l'Inquisition est révolu.
Pas toujours, ni partout, il est vrai.
D'où les slogans ultérieurs : "Il est interdit d'interdire".
"Censurons les censeurs !". Ce qui semble remettre en question leur légitimité, leur autorité. Et la tutelle qu'ils prétendent exercer sur le droit d'opinion, et sur la liberté de la presse, quel qu'en soit le support.
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Au fil du temps, l'organisation de l'ordre public, sous l'autorité de l'Etat, a beaucoup varié, de la démocratie grecque à l'empire romain, de la féodalité à la monarchie, bien des péripéties ont conduit au siècle des Lumières, à l'exigence de la séparation des pouvoirs, et à la république moderne.
Au Moyen-âge, ceux qui ont "voix au chapitre" sont du clergé, parfois membres respectés ou craints d'un éventuel tribunal religieux, inquisitorial, et non plus d'ordre public. Et longtemps, les religions de tout poil ont prétendu avoir "voix au chapitre" sur la gestion de la chose publique, sur le domaine séculier.
Le principe de laïcité vient clore un vieux débat : séparation de l'Eglise et de l'Etat, de la société civile et de la société religieuse, neutralité des pouvoirs publics vis-à-vis des religions. En République française, ce principe s'impose à l'administration, aux institutions publiques, et aux entreprises, publiques ou privées.
La neutralité de l'Etat vis-à-vis des religions situe désormais celles-ci dans la sphère privée, et la Constitution française comme la Déclaration universelle des droits humains reconnaissent à chacun la liberté de pratiquer ou non la religion de son choix, et celle d'en changer librement s'il ou elle le souhaite. Cette liberté va de pair avec la liberté d'opinion, et d'expression publique et privée de cette opinion.
C'est un droit fondamental. Mais nulle part il n'est écrit qu'un individu ou une organisation peuvent ou pourraient imposer à quiconque une opinion, une croyance, ou une religion, quelles qu'elles soient. Vous avez le droit de penser le contraire, et d'en débattre librement, mais les autres aussi ont ce même droit.
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La censure est le fait d'un tribunal, d'ordre public ou privé. C'est une limitation arbitraire de la liberté d'expression. Elle suppose un jugement, donc un débat contradictoire, et la possibilité d'un recours.
Cela n'empêche nullement les secrets d'Etat, les affaires qui vont avec, couvertes sans vergogne par le secret administratif, ou le Secret Défense ; la presse et la justice ont bien souvent quelques difficultés à démêler les petits bénéfices divers variés, des dérives illégitimes et frauduleuses.
Sur le territoire privé, par opposition à public, la liberté d'expression est la règle, tant que l'ordre public est respecté.
La censure n'a pas pour autant disparu, elle a pris la forme et le nom d'autocensure.
Et elle subsiste aussi comme résultante de la pression sociale, qui prise parfois jusqu'à l'excès le conformisme, la bien-pensance.
Sous couvert de moralité, combien d'hypocrisies n'émergent même pas à la connaissance du bon peuple, saturé de propagande et de publicité, vertueuses dames de vertu, comme chacun sait.
Du côté de la vie privée, ce qui n'est pas interdit est sans doute permis, sans qu'il soit besoin d'une quelconque autorisation, sinon de soi-même, et bien sûr de l'autre, que le langage suppose toujours, par définition. Il y a donc des limites, parfois dans la pénombre.
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Que deviennent les images, les idées, les signes ou les informations que la censure tente de masquer d'un voile pudique ? Non, elles et ils ne disparaissent pas comme par magie, au fond des oubliettes. Au contraire.
Elles et ils circulent, et d'autant plus qu'on les voulait cacher. Elles reviennent en miroir, comme une image inversée, de ce qu'elles ou ils prétendaient occulter. C'est-à-dire dé-montrer.
Un dieu malicieux ou malin, annonce benoîtement, urbi et orbi : " Je suis miséricorde, bonté, amour, charité, paix et vie éternelle", et tutti quanti. Et nombreux sont les croyants, nombreuses les belles âmes, farcies de bonnes intentions.
Dans cette jolie représentation d'un idéal humain, le mot-à-mot laisse aux humains le reste, - misère et désamour, égoïsme et narcissisme, indifférence et ennui, sans oublier la violence ordinaire, la famine et la guerre.
Un dieu marchand, publicitaire astucieux, vante à tous les vents ces fariboles, sans se soucier des oxymores, la vie éternelle, le bonheur sempiternel, quel ennui mortel, au final.
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* 22.09.2012
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